Mercredi 23 novembre
J’ai passé une mauvaise soirée hier. De celle que l’on peut passer en début de semaine et en milieu d’hiver, de celle que l’on passe à s’agiter dans un lit trop chaud à la pensée que, nom de Dieu, c’est encore le même cirque qui va recommencer, avec autant de matins douloureux et pressés, autant de nuits pressées et fuyantes, avec autant de jours que de peines, autant de couchés de soleil qu’on dédaigne que de femmes à poils qu’on oublie, et finalement autant d’amours que de crottes de chiens, qui sont, je dois tout de même le confesser, difficile à éviter lorsque ces jolies femmes se mettent un peu trop en valeur (...je parle des amours) ; bref, durant cette soirée difficile, comme tant d’autre vous l’aurez compris, et à la pensée de tout ce tintouin de catastrophé dont je vous casse les oreilles depuis une minute et qui ne sert pas à grand chose qu’à vous rendre votre lit encore plus chaud, je me suis redressé, saisi par l’inquiétude... saisi tout d’un coup par l’irrémédiabilité de mes constatations, auxquelles tout homme, pourvu qu’il ne soit plus en train de jouer avec son sexe au point de l’ériger en totem au milieu de son village, auxquelles tout homme qui jouit des faveurs que lui offre donc une société moderne comme la notre, doit un jour faire face. Inquiet, aussi, parce que ces constatations m’ont amené, tout aussi irrémédiablement, devant la face voilée d’une question tout autant stupide qu’héréditaire: «Sommes-nous heureux? Pouvons nous être heureux?» Et bien mes amis, cette question posons la nous sérieusement. Ne la taxons pas trop rapidement de stupide, comme je viens pourtant de le faire, mais considérons la comme essentielle.
Pouvons nous être heureux? - Mais comment? Comment pouvons-nous être heureux alors qu’on ne saurait même être satisfait? me crie-t-on déjà; nous qui ne savons plus, à la manière d’une des écoles des anciens grecs dont tout le monde se fout puisqu’ils ont volé l’idée de Balou, nous qui ne savons même plus nous satisfaire du nécessaire, comment serait-il possible que nous sachions ce qui est bon pour nous? - Rassurons nous, car c’est justement à l’État qu’incombe cette lourde tâche de garantir notre bonheur, dont il se préoccupe toujours si bien. Et ne sommes-nous pas ceux qui les avons chargé d’une telle tâche par cette action éminemment citoyenne qu’est le vote? Notre rôle s’arrête bien évidemment là, et il n’est pas de notre ressort de juger de notre bien être. Je me trouvais déjà plus calme, cependant qu’il restait évidemment une question fondamentale: que fait donc l’État pour notre bonheur?
Il fait beaucoup de choses, n’en doutons pas une seconde. Il n’a même jamais autant fait puisque les problèmes de sécurité sont au centre des débats.
Jamais homme politique n’a été autant préoccupé par la question de notre sécurité, à nous, les bons citoyens. Qu’elle soit garantit par l’insécurité des banlieues est un fait. Mais n’est-ce pas, après tout, normal? Ne se situent-ils pas eux-mêmes, ces immigrés, hors du cadre social, tant géographiquement que mentalement? en périphérie, tant de la ville que de notre esprit commun? Pour sûr (et les esprits pervers qui pensent que c’est là justement le problème, que c’est ce même État qui les écartent, seront priés d’aller jeter un coup d’œil dans ces banlieues, afin d’observer que toutes les portes leurs sont pourtant ouvertes, et pas seulement celles des commissariats). À bas donc ces gens qui n’ont de papier que pour rouler, à bas les oppresseurs qui font de nos rues des lieux d'asphyxies, de peurs, et vive la police, vive sa violence.
Et dès lors, nous devons aussi être reconnaissant vis-à-vis de l’État, qui suralimente notre législation de nouvelles lois répressives. Les crimes sont inacceptables, les gens qui les commettent sont malades. En foulant du pied notre sécurité, gardienne de notre bonheur, ils se sont condamnés eux-mêmes à être apatride. La réinsertion n’est qu’une illusion, et on peut encore attendre quelques mesures supplémentaires de notre gouvernement, parfois trop laxiste. L’amélioration des conditions d’évaluation de dangerosité des mineurs délinquants, l’ensemble des obligations et des interdictions pour les récidivistes, la surveillance accrue des personnes qui terminent un suivi sociojudiciaire, toutes ces lois qui ont été votées coup sur coup, en l’espace d’à peine six ans, après chaque faits divers qui venaient mystifier nos campagnes pourtant si calmes, ne sont pas suffisantes. Peut être peut-on retrouver l’espoir qu’un débat sur la peine de mort soit ouvert un jour - le spectacle sera assurément plus divertissant et plus rassurant que la une de Paris Match sur les ébats de DSK; ou bien peut être la mesure de la perpétuité pourrait-elle être réévaluer, à la vue de ces monstres qui, en volant une vie, gâchent le bonheur jusque là imperturbable des familles. Savoir que ces horreurs croupirons le reste de leurs maudites existences derrière les barreaux ne peut-il pas aider ces pauvres gens à retrouver le sourire?
Oui, notre sécurité assure notre bonheur. Et comment ne pas se sentir rassuré lorsque nous voyons passer, dans toutes les gares, aéroports, dans certaines stations de métro, et jusque dans les rues, dix colosses armés comme à la guerre, aux visages dont on a rarement vu pareille expression que dans le regard d’un bulldog, qui tiennent bien en main leurs mitrailleuses, prêtent à l’usage? Comment ne pas être au bord de la joie lorsqu’on observe que la police est là, malgré tout ce qu’on peut en dire, pour frapper dur sur une marche dont les étendards hâbleurs affichent leurs contestations faciles du système politico-économique en vigueur? Qu’ont-ils ces indignés, dont l’indignation m’indigne, qui nous refusent notre bonheur? A-t-on une quelconque légitimité quand on ne fait que refuser, se révolter, mettre en doute, chicaner? Que proposent-t-ils en effet? Rien. Ou peu de chose. Ils ne sont pas d’accord, voilà l’affaire. Et pour tout dire il m’arrive de penser que ces rafles policières leurs assurent mêmes un certain bien être, à eux aussi, qu’elles peuvent au moins leur donner l’illusion d’avoir une vraie cause à défendre, de passer du malheur d’être con au bonheur d’être martyr.
Forcé de reconnaitre que personne, finalement, n’est en reste quand il s’agit pour l’État de donner du bonheur, je me suis recouché, rassuré et tout sourire à la perspective qu'offrirait un nouveau quinquennat.