Du manque de publicité en France.

​D’aucuns se plaignent de la publicité à la télévision – nouveaux aspirateurs sans sac, nouvelles tablettes tactiles, nouveaux rasoirs six lames – sous couvert d’abêtissement des spectateurs. Drôle d’idée ! Aujourd’hui que la fréquentation des musées, des cinémas, des opéras est au plus bas, il faut nous humaniser, nous rendre sensible à l’art, grâce à la formidable puissance de la distribution de masse. Qui, aujourd’hui, irait voir ces vierges glacées dont on n’aperçoit qu’un sein à peine dévoilé ? Qui irait voir une pièce de théâtre, alors qu’il est impossible de répondre à un appel, si ça se trouve important ? Avouons-le : les plus âgés d’entre nous, par habitude sans doute.

Il faut s’assurer que les nouveaux René Char produisent anonymement ces étiquettes sur les bouteilles, ces slogans sur affiches. Quelle plus large démocratisation de l’Art pouvait rêver un Fourier, un Proudhon ? Il tapisse nos murs, nos souterrains, et nos objets. Comme beaucoup, je suis triste à en pleurer lorsque les portes du métro se ferment, et que je dois abandonner ces belles et immenses photographies qui, au delà d’une incisive information (qu’il permet de surcroit d’alimenter certaines discussions), me montrent des jeunes femmes au regard déterminé, ou bien des enfants mangeant des pommes si vertes ! Et ces femmes, quelles femmes ! Et ces enfants, quels enfants ! Les premières me donnent envie, là, tout de suite, de recréer le lien social à même la ménagère de quarante ans assise à ma droite, la seconde d’alimenter des remords propices aux œuvres de génie (que n’ai-je été un enfant au sourire si beau ?) Je boue, je frétille, il n'y a plus de doute, c'est de l’Art ! Comme, autrefois, l’aristocrate défaillait face au sein d’Hérodiade, je sens aujourd’hui mon cœur défaillir à ses femmes dont on me suggère savamment qu’elles valent 9,99e (quelques esprits médisants me soufflent que ce chiffre correspond au soutien gorge qui la couvre si peu, je n’en crois rien).

Ainsi, combien d’espace la culture de masse perd ! Que les murs sont vides dans les salles de classes ! Nos rêveries nous apprendraient l’anatomie féminine, le prix des yaourts biologiques, et celui des sodas sans sucre. Apprentissage bien plus utile que les fonctions dérivées : parlons-nous fonctions avec les agents de caisse ? Sûr que non ! Militons ainsi pour un accroissement de la publicité en France, cette culture utile, cet art duplicable, l’art que le peuple peut voir d’un œil distrait, qui surplombe les embouteillages et la Conciergerie avec tant de grâce que les touristes ne viennent que pour ça (qui viendrait pour la Conciergerie ?)

Devant tant d'incroyables efforts de l'industrie, dos à la Seine, et face à la nouvelle Clio, belle de nouveauté car ce qui est nouveau est bon contrairement à l'ancien qui pourrait vous faire croire pauvre, je comprends que le clown avait raison: c'est tout ce que j'aime.